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Opportunité de la décennie ou vulgaire manipulation ? La saga GameStop, qui oppose depuis plusieurs années gérants de fonds et petits porteurs, refait surface cette semaine. Cette histoire fascinante, qui a inspiré le film grand public "Dumb Money", continue d’agiter les passions. Avec le regain d’intérêt de ces derniers jours, je vous livre ici mon point de vue sur les excès et les dangereuses connivences que cette saga révèle.
1. Que s’est-il passé ?
La société GameStop est au cœur d’un feuilleton débuté en janvier 2021. Connue en France sous le nom de Micromania, elle exploite des magasins physiques de jeux vidéo aux États-Unis et dans le monde entier. À une époque où les jeux vidéo se téléchargent en ligne, le modèle de GameStop a été particulièrement mis à mal par la crise sanitaire liée au COVID.
En 2021, GameStop est devenue la proie de plusieurs hedge funds qui ont parié sur la baisse de son action, en prenant des « positions courtes ». Cela signifie qu’ils ont emprunté des actions pour les vendre, espérant les racheter à un prix inférieur. Cependant, des petits investisseurs se sont rassemblés sur Reddit, particulièrement dans le forum r/WallStreetBets, pour acheter massivement les actions GameStop. Cette stratégie collective a fait grimper le cours de l’action de plus de 30 fois son niveau initial, forçant les hedge funds à racheter leurs positions à des prix exorbitants. Certains petits investisseurs ont rapidement fait fortune, tandis que les hedge funds ont subi des pertes de plusieurs milliards de dollars. Melvin Capital, le fonds le plus touché, a dû fermer ses portes en 2022.
Le 13 mai 2024, nouveau rebondissement. Keith Gill, alias Roaring Kitty, meneur de cette rébellion digne de David contre Goliath, a publié un tweet qui a ravivé l'intérêt pour l'action GameStop, la propulsant brièvement à 64 $. Cependant, cet intérêt a été de courte durée. Qu’est-ce qui a changé ? Voyons cela en détail.
Keith Gill, surnommé "Roaring Kitty" a mené la fronde des petits porteurs
Risque illimité de perte
Prendre une « position courte » consiste à emprunter des actions auprès de courtiers, les vendre sur le marché, puis les racheter pour déboucler la position (idéalement à un cours inférieur). Le gain pour l’investisseur correspond à la différence entre le prix de vente et le prix d’achat. Ce type d’opération, bien que légal, présente un risque de perte illimité. Si une action vendue à 10 € monte subitement à 20 €, la perte est de 10 € par action. Si le cours dépasse 20 €, la perte est supérieure à la mise initiale. C’est l’inverse d’une transaction classique, où la perte maximale est limitée au montant investi et le gain potentiel est illimité.
Pour se prémunir contre le risque de défaut des investisseurs, les courtiers exigent des garanties, et si le cours de l’action dépasse un certain niveau, la garantie augmente, entraînant un « appel de marge ». Si l’investisseur ne peut pas fournir la garantie additionnelle, sa position est automatiquement fermée au prix du marché, entraînant souvent des pertes élevées.
Dans le cas de GameStop, en janvier 2021, les petits investisseurs ont propulsé le cours de l’action, créant une pression énorme sur les fonds. Les fonds ont alors accru leurs positions courtes, atteignant 140 % du flottant. Le cours a explosé, passant de 30 $ à plus de 500 $ en quelques jours. De nombreux fonds n’ont pas pu honorer les appels de marge et ont dû liquider à perte tout ou une partie de leurs positions. Melvin Capital, en particulier, a été recapitalisé en urgence avec 2,75 milliards de dollars pour éviter la faillite.
Depuis, le cours de GameStop a progressivement chuté pour atteindre 10 $. Le tweet de Keith Gill le 13 mai 2024 a brièvement ravivé l’intérêt, propulsant l’action à 64 $, mais cet intérêt s’est rapidement dissipé. Au moment d’écrire cet article, le cours est redescendu en dessous de 21 $.
L’affaire GameStop continue de mettre en lumière les excès et les failles de la finance moderne, nécessitant une réflexion approfondie sur la régulation et la transparence des marchés financiers.
2. Un contexte radicalement différent en 2024
La saga GameStop de 2021 a marqué l'histoire des marchés financiers, mais en 2024, le contexte a profondément changé, rendant une répétition de ce phénomène improbable pour plusieurs raisons.
Réduction des positions courtes
En 2021, la position courte sur GameStop avait atteint des niveaux incroyablement élevés, représentant au pic 140 % du flottant. Cette situation extrême était en partie due aux conditions de marché favorables à l'endettement et à l'utilisation massive de produits dérivés pour prendre des positions courtes. En 2024, les choses sont très différentes. Les positions courtes sur GameStop représentent désormais seulement 24 % du capital, selon Factset. Ce changement s'explique principalement par la hausse des taux d'intérêt. Les taux plus élevés rendent les positions courtes plus coûteuses car les courtiers prêtent à des taux plus élevés, augmentant ainsi le coût de financement des positions short. Les hedge funds sont donc moins enclins à prendre des positions aussi risquées qu'en 2021.
GameStop - Cours de bourse de juillet 2020 à avril 2022
GameStop - Cours de bourse du 7 au 17 mai 2024
Lassitude et contexte socio-économique changé
La dynamique sociale et économique a également évolué. En 2021, en plein cœur de la pandémie de COVID-19, les confinements massifs ont poussé des millions de personnes à rester chez elles, souvent sans emploi ou avec des activités limitées. Beaucoup de ces personnes ont trouvé dans le trading en ligne une nouvelle occupation. La communauté Reddit r/WallStreetBets a alors explosé, attirant de nombreux petits investisseurs prêts à défier les hedge funds.
En 2024, les confinements sanitaires appartiennent au passé. Les gens sont de retour au travail, les activités de loisir ont repris leur cours normal, et l'attrait du trading en ligne a diminué. De nombreux petits investisseurs qui ont subi des pertes significatives en 2021 se sont retirés du marché ou se sont montrés plus prudents. La frénésie de trading observée en 2021 s'est donc largement dissipée.
Meilleure préparation des fonds
Les hedge funds ont également appris de leurs erreurs. En 2021, pris de court par l'ampleur du mouvement de « short squeeze » orchestré par les investisseurs de détail, beaucoup ont subi des pertes énormes. Melvin Capital, par exemple, a dû être recapitalisé en urgence (par Citadel Capital et Point 72) pour éviter la faillite. En 2024, les fonds sont mieux préparés. Ils ont mis en place des stratégies pour limiter les risques de short squeeze, comme réduire leurs positions courtes et diversifier leurs investissements pour éviter de se retrouver dans une situation similaire à celle de 2021.
Changement de la réglementation depuis 2021
La réaction des régulateurs à l'épisode GameStop de 2021 a également joué un rôle crucial. En réponse à l'extrême volatilité et aux manipulations de marché apparentes, les régulateurs ont introduit de nouvelles règles pour surveiller et limiter les pratiques de trading risquées. Ces nouvelles régulations incluent des exigences accrues de transparence et de déclaration pour les positions courtes et des restrictions sur certaines pratiques de trading dérivé. Ces mesures ont contribué à stabiliser le marché et à prévenir la répétition des excès observés en 2021.
Évolution des Comportements d'Investissement
Enfin, les comportements d'investissement des particuliers ont évolué. Si les plateformes de trading sans commission comme Robinhood ont démocratisé l'accès au marché, la volatilité extrême de 2021 a servi de leçon à beaucoup. Les nouveaux investisseurs sont devenus plus prudents, se concentrant davantage sur des stratégies d'investissement à long terme plutôt que sur des coups de trading spéculatifs. Cette maturité accrue des investisseurs de détail a contribué à un environnement de marché plus stable et moins propice aux flambées soudaines comme celle de GameStop en 2021.
Affiche du film "Dumb Money", sorti en novembre 2023 et inspiré de l'affaire GameStop
3. Les excès de la finance moderne mis en lumière
L'épisode GameStop a révélé plusieurs aspects problématiques et excès de la finance moderne. En analysant les pratiques de vente à découvert, l'utilisation des produits dérivés, les manipulations de marché et le rôle des régulateurs, nous pouvons mieux comprendre les dynamiques qui ont contribué à cette saga boursière.
La vente à découvert et les produits synthétiques
La capacité des investisseurs à shorter les actions à un niveau excessif est l'un des principaux excès révélés par l'affaire GameStop. En janvier 2021, la proportion d'actions GameStop vendues à découvert a atteint 140 % de son flottant. Cette situation s'explique par l'utilisation de produits dérivés et de positions synthétiques, qui permettent de multiplier artificiellement les actions shortées au-delà du nombre total d'actions disponibles sur le marché.
Les produits synthétiques, comme les swaps de rendement total (TRS) et les options, permettent aux investisseurs d'augmenter leur exposition sans posséder directement les actions. Cela conduit à une situation où les positions courtes peuvent dépasser le nombre total d'actions en circulation, créant un risque systémique pour le marché. Lorsque ces positions doivent être débouclées rapidement, comme ce fut le cas avec GameStop, cela entraîne une volatilité extrême et des pertes massives pour les investisseurs short.
Manipulations de marché et connivences
L'épisode GameStop a également mis en lumière des manipulations de marché potentielles et des connivences entre courtiers et les fonds teneurs de marché (market makers).
En effet, au plus fort de la crise, Robinhood, l'un des courtiers les plus populaires auprès des particuliers aux Etats-Unis, a empêché ses clients d’acheter des actions GameStop alors même que le régulateur ne l'exigeait pas. Ce blocage d’ordres d'achat a contribué à stabiliser le cours de l'action, soulageant ainsi les fonds ayant des positions courtes sur le titre. Robinhood a été accusé de favoriser les intérêts des fonds au détriment de ses clients individuels, en raison de soupçons de conflits d'intérêt.
Ces soupçons sont en partie expliqués par la pratique controversée du Payment for Order Flow (PFOF), où les courtiers reçoivent des paiements des market makers pour diriger les ordres de leurs clients vers eux. Cette pratique représente une part significative des revenus des plateformes de trading comme Robinhood, constituant environ 40 % de leurs revenus totaux.
Bien que le PFOF ne soit pas autorisé en France, cette pratique est autorisée aux Etats-Unis et dans de nombreux pays européens (dont l’Allemagne). Ainsi, des courtiers comme Trade Republic, eToro et De Giro utilisent le PFOF comme source essentielle de revenus. Cette pratique soulève des préoccupations quant aux conflits d'intérêts et à la qualité d'exécution des ordres pour les clients. Les courtiers peuvent être incités à privilégier les revenus générés par le PFOF plutôt que de chercher les meilleures conditions d'exécution pour leurs clients, ce qui peut nuire à l'intégrité des marchés financiers.
En conclusion, l'affaire GameStop a révélé des problématiques importantes liées à la transparence et à l'éthique des pratiques de courtage, mettant en évidence la nécessité d'une réglementation plus stricte pour protéger les investisseurs particuliers et garantir l'équité des marchés.
Logos de courtiers US et européens ayant recours au PFOF
Laxisme des autorités de régulation
L'affaire GameStop a également mis en évidence un certain laxisme des autorités de régulation en matière de surveillance et de sanctions. Par exemple, le phénomène de "fail to deliver", où les vendeurs à découvert ne parviennent pas à livrer les actions vendues, a été peu sanctionné. Ces défauts de livraison peuvent exacerber la volatilité du marché et permettre des manipulations abusives des cours .
Les régulateurs ont réagi à l'épisode GameStop de 2021 en introduisant de nouvelles règles pour améliorer la transparence des positions courtes et limiter les pratiques de trading risquées. Cependant, ces mesures restent souvent insuffisantes pour prévenir les abus futurs. La complexité des instruments financiers modernes et la rapidité des transactions rendent la tâche des régulateurs particulièrement ardue. Par conséquent, le marché reste vulnérable à des épisodes de volatilité extrême et à des manipulations de cours.
Impact sur la perception du public et les petits investisseurs
L'épisode GameStop a également eu un impact significatif sur la perception des marchés financiers par le public. De nombreux petits investisseurs ont vu cet épisode comme une opportunité de défier les grandes institutions financières et de réaliser des gains rapides. Toutefois, beaucoup ont également subi des pertes importantes lorsque le cours de l'action est retombé. Cette volatilité a renforcé l'idée que les marchés financiers peuvent être manipulés et ne sont pas toujours justes pour les petits investisseurs.
En conclusion, cette affaire, bien que parfois perçue comme divertissante, met en lumière les excès et les failles de la finance moderne. Elle révèle la capacité à multiplier les positions courtes au-delà du raisonnable et à recourir à des pratiques controversées telles que le PFOF, tout en soulignant le manque de sanctions appropriées de la part des régulateurs. Ces éléments montrent l'urgence de réformes pour garantir un fonctionnement plus transparent et équitable des marchés financiers. En Union Européenne, le PFOF sera définitivement aboli en juin 2026, marquant une étape vers une régulation plus stricte et protectrice pour les investisseurs. À suivre donc.
4 Comments
Très bon article bien documenté et très clair permettant de mieux comprendre les mouvements financiers actuels et permettant aux investisseurs même débutants d’analyser les situations financières. Un bon site à consulter régulièrement.
Nous sommes ravis que l’article ainsi que le site vous aient plu.
N’hésitez pas à nous soumettre des idées de thèmes à traiter ou des suggestions.
Merci à vous,
L’équipe de Monsieur Capital
Très bon article, initiatique à la bourse, avec un exemple (GameStop) qui met en exergue certaines failles du système boursier, le tout avec une analyse pertinente!
Bonjour Louis,
Merci pour votre visite.
Cela fait plaisir de savoir que notre article ait suscité votre intérêt.
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L’équipe de Monsieur Capital